Tsukimi, la fête de la lune au Japon
Tsukimi, la fête de la lune au Japon

TSUKIMI, LA FÊTE DE LA LUNE AU JAPON

En septembre, l’été japonais tire sa révérence, laissant place à l’automne, durant lequel l’air devient plus frais et agréable et où les paysages vont progressivement se parer de teintes chaudes. Ce tout début de la saison automnale est marqué par un moment poétique et contemplatif : Tsukimi, la fête de la lune. Cette tradition millénaire se tient lors de la 15e nuit du 8e mois lunaire, c’est-à-dire à une date qui varie chaque année entre mi-septembre et début octobre, correspondant généralement à une pleine lune ou presque. Durant le mois de septembre, on retrouve partout dans les rues commerçantes, les boutiques et restaurants, ou les ryokan, des décorations et spécialités liées à la fête de la lune.

Cette période de l’année est idéale pour admirer la lune car les conditions atmosphériques en automne sont propices à une observation claire : les anticyclones qui traversent le Japon assèchent l’air et débarrassent le ciel de son humidité et de ses poussières, laissant place à des cieux dégagés, et la position de la lune est idéale (tandis qu’elle est plus basse en été et plus haute en hiver). Toutefois, ne vous attendez pas à des festivités grandioses pour Tsukimi ! Cette fête est empreinte de discrétion, presque intime, et invite à contempler la lune dans le silence de la nuit. On trouve quelques événements pour l’occasion, mais ce sont des festivals plus calmes et culturels. Aujourd’hui, je vous invite donc à découvrir Tsukimi, la fête de la lune, une tradition empreinte de sérénité, qui marque le début de l’automne et offre une transition tout en douceur après l’intensité des festivités estivales.

TSUKIMI, LA FÊTE DE LA LUNE… OU PLUTÔT LES FÊTES DE LA LUNE

Signifiant littéralement “contemplation de la Lune”, Tsukimi est une célébration qui trouve ses racines durant l’époque de Heian (794-1185), lorsque l’aristocratie japonaise, influencée par des coutumes chinoises, organisait des soirées élégantes pour admirer la pleine lune. À l’époque, les nobles récitaient des poèmes et buvaient du sake en observant la lune depuis des barques sur des étangs, où le reflet de l’astre dans l’eau créait un spectacle élégant et majestueux. Cette tradition, initialement réservée à l’élite, s’est popularisée au fil des siècles, notamment durant l’époque d’Edo (1603-1868), lorsque sa pratique s’est élargie au grand public. Les célébrations se faisaient alors à domicile, souvent accompagnées de dégustations de spécialités saisonnières et d’offrandes pour remercier les divinités des récoltes à venir.

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Utagawa Kuniteru – Observation de la lune à Takanawa, lieu célèbre d’Edo (1843-47)

Bien que Tsukimi ait des origines chinoises, le Japon a su, comme toujours, s’approprier et réinterpréter cette tradition. C’est ainsi qu’apparut Jusanya, une seconde fête de la lune, célébrée le 13e jour du 9e mois lunaire. Cette célébration tombe le mois suivant, généralement entre mi et fin octobre, et coïncide avec ce que les Japonais considèrent comme la deuxième plus belle lune de l’année. Contrairement à la première, il ne s’agit pas d’une pleine lune, ce qui traduit la sensibilité esthétique japonaise mettant en valeur l’asymétrie et l’imperfection. Avec 2 fêtes de la lune, ce sont également 2 fois plus d’occasions de faire de l’événementiel et du commerce, chose que les quartiers des plaisirs de l’époque d’Edo avaient déjà bien compris ! Les oiran, des prostituées de luxe très prestigieuses, invitaient leurs meilleurs clients à admirer la lune de septembre ensemble, ce qui les obligeait à revenir en octobre pour la seconde fête. Il existe même une troisième fête de la lune (Tokanya) qui se tient la 10e nuit du 10e mois lunaire, c’est-à-dire en novembre, mais c’est une célébration plus mineure, largement moins connue et observée que les deux autres.

  • Tsukimi 2024 : 17 septembre 2024
  • Jusanya 2024 : 15 octobre 2024
  • Tsukimi 2025 : 6 octobre 2025
  • Jusanya 2025 : 2 novembre 2025

Autre tradition japonaise liée à Tsukimi et remontant à l’époque d’Edo, les Tsukimi dorobo sont les voleurs de la fête de la lune. Les enfants, perçus comme les messagers de la lune, l’astre étant vu comme un symbole de fertilité, avaient carte blanche pour voler quelques légumes ou fruits dans les champs des voisins. Une manière ludique de célébrer la lune et de croire, durant un instant, que c’était la lune elle-même qui avait une petite faim ! Bien que cette tradition soit aujourd’hui rare, elle persiste encore dans certaines régions rurales, comme par exemple dans la banlieue de Nagoya (Nisshin et Nagakute), dans la préfecture de Gifu (Ena), ou encore dans la préfecture de Mie (Yokkaichi et Kuwana). Elle prend désormais plus des airs d’Halloween avant l’heure, les enfants venant sonner aux portes pour demander des bonbons en disant qu’ils sont les voleurs de Tsukimi.

LA LÉGENDE DU LAPIN SUR LA LUNE

Si la lune est à l’honneur pour Tsukimi, la vraie star de la soirée est un petit lapin… qui fabrique du mochi sur la lune ! Selon un ancien conte bouddhique, un vieillard affamé demanda un jour de l’aide à plusieurs animaux. Le singe lui apporta des fruits, et le renard du poisson à faire griller. Le lapin, quant à lui, se sentant inutile car incapable de trouver de la nourriture malgré tous ses efforts, se jeta dans le feu en offrant sa propre vie pour nourrir l’homme. Ému par ce sacrifice, le vieillard, qui était en réalité une divinité déguisée, ressuscita le lapin et l’envoya sur la lune afin qu’il soit honoré à jamais et vive une existence paisible. C’est ainsi que, lorsque les Japonais observent la lune, ils croient distinguer dans ses cratères un lapin tenant un mortier en train de confectionner des mochi, pâtisseries de riz symbolisant les récoltes et l’abondance. Il est vrai que si l’on a cette image en tête, on peut effectivement voir une forme qui y ressemble ! Cette image du lapin lunaire, loin des créatures obscures de certaines cultures occidentales, est au Japon synonyme de lumière, de bienveillance et de fertilité. Les cratères lunaires deviennent alors les témoins silencieux de ce geste altruiste, et la lune elle-même se transforme en un symbole de romantisme et de connexion entre deux êtres, qui regardent chacun la même lune. Dire à quelqu’un que la lune est belle était autrefois une élégante déclaration d’amour au Japon.

LES SPÉCIALITÉS POUR TSUKIMI

Pour célébrer Tsukimi, ce ne sont pas grandes festivités qui attendent les Japonais, car c’est une fête que l’on passe plutôt en intimité, à la maison. Idéalement, on décore un coin près de la fenêtre pour admirer l’astre tout en dégustant des spécialités saisonnières, notamment des tsukimi dango, des boulettes de riz gluant blanches comme la lune. D’autres délices sont aussi à l’honneur, variant selon les régions mais ayant un lien avec la lune et les premières récoltes de l’automne. Les chaînes de fast-food s’invitent elles aussi à la fête avec des créations limitées à base d’œufs, le terme “tsukimi” s’appliquant à tout plat couronné d’un œuf en raison de la similitude entre le jaune d’œuf et la pleine lune.

  • Tsukimo dango : des boulettes de riz gluant toutes blanches qui évoquent la lune. Leur goût est assez anecdotique, mais on les trempe dans une sauce soja sucrée-salée. À apprécier plus pour leur aspect poétique que gustatif.
  • Tsukimi udon : nouilles udon garnies d’un œuf cru ou poché, souvent accompagnées de feuilles de nori, évoquant la lune dissimulée derrière des nuages.
  • Tsukimi soba : nouilles soba (à base de sarrasin) accompagnées d’un œuf cru ou poché.
  • Tsukimi donburi : bol de riz chaud garni d’un œuf poché et accompagné de viande ou de légumes.
  • Tsukimi burger : spécialité saisonnière des chaînes de fast-food comme McDonald’s et KFC. Le burger est recouvert d’un œuf au plat évoquant la pleine lune. Des déclinaisons pour tsukimi sont également proposées en desserts (Tsukimi McFlurry, Tsukimi pie…), les chaînes essayant de capitaliser un maximum sur cet événement.
  • Tsukimi pizza : création spéciale proposée par des chaînes comme Domino’s Pizza avec un œuf au plat sur la pizza.
  • Patate douce : symbole des premières récoltes d’automne, elle est souvent consommée pendant Tsukimi. Sa douceur réconfortante en fait un des mets phares des spécialités d’automne au Japon.
  • Châtaigne : douceur incontournable de l’automne japonais, associée à la lune croissante. Elle peut se déguster aussi bien en salé, avec par exemple le kuri gohan (riz aux châtaignes) qu’en sucré, très populaire en saveur de desserts.

LES FESTIVALS POUR TSUKIMI

Bien que Tsukimi soit principalement une fête célébrée à la maison, certains lieux organisent des événements spéciaux pour marquer cette période. Jardins et monuments prolongent leurs horaires d’ouverture et proposent des animations, transformant cette célébration intime en moments de contemplation partagée. Contrairement aux matsuri vibrants plein de vigueur et d’entrain, les événements pour la fête de la lune sont plus contemplatifs et culturels, avec souvent des concerts d’instruments traditionnels. Voici une petite sélection de 12 festivals à voir pour Tsukimi :

  • 14-17 septembre 2024 : Fukagawa Jugoya Matsuri (Tokyo)
    Ce festival se tient au sanctuaire Tomioka Hachiman-gu et propose de célébrer Tsukimi avec un mélange de rites traditionnels et d’animations modernes. On assiste à des spectacles de musique traditionnelle, à des danses de geisha, ainsi qu’à des concerts de musique contemporaine. Le soir, les lieux sont éclairés jusqu’à 20h30.
  • 14-17 septembre : Shinshu Sarashina Obasute Kangetsukai (préfecture de Nagano)
    Dans la ville de Chikuma, Tsukimi est à l’honneur durant 4 jours avec cet événement qui propose diverses animations, telles que du théâtre, de la danse, de la musique, des illuminations ou encore des distributions de tsukimi dango.
  • 14-18 septembre 2024 : Sankei-en Kangetsukai (préfecture de Kanagawa)
    Dans la ville de Yokohama, le jardin Sankei-en est exceptionnellement ouvert de nuit durant 5 jours pour la fête de la lune. Des concerts d’instruments traditionnels et des représentations théâtrales seront proposés.
  • 16-17 septembre : Yokaichi Machinami Kangetsukai (préfecture d’Ehime)
    Dans le quartier historique de la ville d’Uchiko, une soirée féerique est proposée avec des lanternes éclairant les ruelles, des maisons seigneuriales illuminées, de la vente de tsukimi dango, de la musique et des défilés de danse.
  • 16-18 septembre 2024 : Mukojima Hyakkaen Tsukimi no Kai (Tokyo)
    Ce jardin historique de Tokyo offre une atmosphère féérique durant les soirées d’observation de la lune. Les visiteurs profitent de concerts de musique classique japonaise et d’autres représentations artistiques au milieu des allées illuminées par des lanternes. On peut alors contempler la beauté du jardin sous un éclairage lunaire, les portes restant ouvertes exceptionnellement jusqu’à 21h pour l’occasion. Des cérémonies du thé sont également proposées.
  • 17 septembre 2024 : Matsunoo Taisha Kangetsukai (Kyoto)
    Dans l’un des sanctuaires les plus anciens de Kyoto, dédié au dieu du sake, ce festival met en avant la contemplation de la lune avec des performances de flûte shakuhachi, de tambours taiko, et même un concours de poèmes haiku. En prime, on peut y déguster gratuitement des douceurs traditionnelles et du sake !
  • 17 septembre 2024 : Himeji-jo Kangetsukai (préfecture de Hyogo)
    Le château de Himeji est un magnifique écrin pour admirer la lune pendant Tsukimi au son de musique japonaise traditionnelle. Une cérémonie du thé est également proposée dans maison de thé pour 500 yens (3€)). Les jardins, illuminés autour d’une colline et d’un étang, offrent un décor majestueux qui invite les visiteurs à la contemplation.
  • 17-18 septembre 2024 : Ishiyama-dera Shugetsusai (préfecture de Shiga)
    À l’occasion de Tsukimi, le temple Ishiyama-dera, situé dans la ville d’Otsu, propose une belle balade nocturne à la lueur des lanternes. Une élégante cérémonie du thé est proposée, et des danses traditionnelles sont également données, mais elles nécessitent une réservation.
  • 18-19 septembre : Tokugawa-en Kangetsukai (préfecture d’Aichi)
    Dans la ville de Nagoya, le jardin Tokugawa-en ouvre chaque année ses portes le temps de 2 soirées pour célébrer Tsukimi. Les enfants pourront jouer les voleurs de la fête de la lune, une coutume régionale, et des concerts de musique traditionnelle seront proposés.
  • 21 septembre 2024 : Setoda Kangetsukai (préfecture de Hiroshima)
    Un événement très local dans la charmante ville d’Onomichi qui propose de vivre Tsukimi sur la plage, bercé par le son des vagues. Quelques stands de nourriture vendant des tsukimi dango ainsi que des spectacles de danse et concerts de musiques sont également au programme.
  • 6 octobre 2024 : Yusentei Koen Kangetsukai (préfecture de Fukuoka)
    Dans la ville de Fukuoka, le très joli jardin Yusentei Koen est illuminé pour l’occasion et propose un concert nocturne de musique traditionnelle de 19h à 20h30. L’entrée coûte 3,500 yens (20€) et les places sont limitées, donc il vaut mieux réserver par téléphone ou en se rendant sur place quelques jours avant.
  • 19 octobre 2024 : Kitsuki Kangetsukai (préfecture d’Oita)
    Dans la charmante ville médiévale de Kitsuki, c’est 1 mois plus tard que l’on célèbre Tsukimi, invitant les visiteurs à participer à de nombreuses animations : spectacles musicaux, illuminations nocturnes dans différents lieux de la ville, cérémonie du thé dans plusieurs anciennes maisons seigneuriales, stands de nourriture, et expositions artistiques.

La contemplation occupe une place importante dans la culture japonaise, que ce soit à l’occasion de floraisons, telles que pour les cerisiers, les gylcines, ou encore les hortensias, ou bien lors de rituels traditionnels, à l’instar de Tsukimi. La fête de la lune se révèle comme un beau moment de douceur au début de l’automne, invitant à ralentir le temps et apprécier des moments plus contemplatifs. Pour en découvrir plus sur les fêtes culturelles japonaise, n’hésitez pas à lire mes autres articles du même type sur O-bon, la fête des ancêtres au Japon, ou Tanabata, la fête des étoiles au Japon.

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  1. Road_To_Sakura
    9 septembre 2024

    Je vais devenir un voleur de Tsukimi pour voler ta lune lune
    Superbe article, je connaissais de très loin cette célébration, j’ai maintenant hâte de la célébrer suite à cet article !

    1. 12 septembre 2024

      Merci mamène, le 17 septembre au soir je ferai une prière en direction de ton crâne évoquant une majestueuse pleine lune !