Awa Odori, la danse des fous
Awa Odori, la danse des fous

Awa Odori, la danse des fous

Chaque été, du 12 au 15 août, la ville de Tokushima, sur l’île de Shikoku, se transforme en immense scène à ciel ouvert. Des milliers de danseurs avancent en file, bras levés, pas glissés, au son des taiko, des shamisen et des cris rythmés. Dans une ambiance électrique, la foule scande une formule devenue emblématique : « Odoru aho ni miru aho, onaji aho nara odoranya son son » (Il y a les fous qui dansent et les fous qui regardent, quitte à être fou, pourquoi ne pas danser ?). Une invitation joyeuse à se laisser emporter. L’Awa Odori est aujourd’hui le plus grand festival de danse du Japon, attirant chaque année plus d’un million de visiteurs et une ferveur communicative durant la période d’O-Bon, la fête des ancêtres. Mais cette danse, devenue mythique, peut également s’apprécier dans d’autres régions et à différentes périodes lors de matsuri. Je vous propose donc aujourd’hui d’en découvrir plus sur l’Awa Odori, danse de l’été japonais, née dans les rues de Tokushima et devenue un véritable phénomène culturel.

Awa Odori, la danse folklorique de Tokushima

L’Awa Odori puise ses origines dans les danses Bon Odori, rituels bouddhiques pratiqués depuis le Moyen Âge pour honorer les esprits des ancêtres à l’occasion d’O-Bon, la fête des ancêtres au Japon. Festives tout en gardant une dimension spirituelle, ces danses étaient déjà bien ancrées dans la région de Tokushima. Sous le règne des Tokugawa (1603-1868), la pratique se structure : les autorités locales promulguent des règlements pour limiter la durée des célébrations et ainsi éviter les débordements.

Une autre version, plus légendaire, situe la naissance de la danse moderne en 1586. Lors de l’inauguration du château de Tokushima, le seigneur Hachisuka Iemasa aurait offert du sake à la population. Dans l’euphorie collective, nobles et roturiers se seraient alors mis à danser ensemble, sans distinction de rang. Bien que cette histoire soit apparue bien plus tard, dans un journal local de 1908, elle symbolise parfaitement l’esprit populaire et débridé de l’Awa Odori.

Le grand festival Awa Odori, célébré chaque année au mois d’août, a traversé les siècles avec des hauts et des bas. Il connaît un net déclin durant l’ère Meiji (1868-1912), mais renaît dans les années 1920 sous une forme plus structurée. C’est à cette époque qu’on adopte officiellement le nom d’Awa Odori, combinant le nom de l’ancienne province d’Awa avec le mot odori (« danse »). Un nom sobre, pour un défilé spectaculaire. Plutôt que de viser la perfection du geste, on célèbre ici le plaisir de bouger ensemble. Chaque troupe développe ses propres codes, mais toutes partagent cette même énergie vibrante. Une liesse collective, où traditions anciennes et joie spontanée se mêlent sous les lanternes.

Les particularités de la danse Awa Odori

Ce qui fait le charme du Awa Odori, c’est ce mélange de gestes précis, de tenues colorées et de musique entraînante. Chaque troupe (ren) suit les mêmes grandes règles, mais ajoute toujours sa petite touche personnelle.

  • Du côté des costumes, les différences entre les styles masculins et féminins sont nettes. Les danseuses portent des yukata, ces kimono d’été légers, souvent avec de larges ceintures et un chapeau de paille tressé en forme d’éventail (amigasa), incliné vers l’avant. Elles avancent sur la pointe des pieds, en équilibre sur des sandales en bois (geta) à talon surélevé, ce qui accentue l’élégance de leur silhouette. Leurs bras restent levés, les gestes mesurés, les lignes harmonieuses.
  • Les hommes, eux, adoptent une posture plus ancrée, plus dynamique. Habillés de happi ou de vestes courtes en coton à motifs, parfois coiffés de bandeaux, ils dansent avec énergie : les jambes fléchies, les pieds pivotants, les bras qui tracent de larges gestes au rythme des tambours. Certains portent de longues lanternes horizontales (toro) qu’ils élèvent ou balancent au-dessus de la foule, ajoutant une dimension spectaculaire à leur passage.
  • Les pas, codifiés mais jamais figés, se transmettent de génération en génération. On distingue deux styles principaux : le otoko-odori, la danse masculine, vive et athlétique, et le onna-odori, la danse féminine, fluide et gracieuse. Chaque ren joue sur cette dualité, en alternant force et délicatesse, cadence martiale et chorégraphie presque aérienne. Certaines troupes mêlent les deux genres, d’autres les distinguent strictement, mais toutes s’inscrivent dans une même logique collective.
  • L’ensemble est porté par un orchestre de narimono, composé d’instruments traditionnels : shamisen (luth à trois cordes), shinobue (flûte en bambou), taiko (tambours), kane (cloche) ou encore grosse caisse. Le rythme est rapide, binaire, immédiatement reconnaissable. Les danseurs scandent aussi des cris rythmiques (kakegoe), dont le plus célèbre est le refrain Awa Yoshikono : « yoisa, yoisa ! » Un chant entraînant qui ponctue la parade et invite les spectateurs à battre la mesure, voire à rejoindre la danse.

Cette combinaison de sons, de mouvements et de tenues crée une atmosphère immersive, où le spectateur se retrouve happé, presque malgré lui, par la ferveur du moment.

Les festivals d’Awa Odori

Si Tokushima reste le cœur battant de l’Awa Odori, la danse s’est diffusée dans de nombreuses villes à travers le pays. Du printemps à la fin de l’été, plein de matsuri proposent leur propre version de cette fête populaire. Voici donc une sélection de 12 festivals de danse Awa Odori dans tout le Japon :

  • Mi-avril : Hana Haru Festa à Tokushima (préfecture de Tokushima)
    Si le grand festival Awa Odori a lieu chaque année en août, cet événement beaucoup plus modeste permet de profiter d’un petit aperçu de la fête. Durant 2 jours, les visiteurs peuvent apprécier des danses, de la nourriture locale, des concerts, ou encore des expériences artisanales dans différents endroits de la ville.
  • Mi-juillet : Yamato Awa Odori à Yamato (préfecture de Kanagawa)
    L’un des 3 grands festivals Awa Odori de la région du Kanto. Sur deux soirées, des troupes venues de tout le Japon défilent dans une atmosphère festive, entre musique live et stands de rue.
  • 4e vendredi et samedi de juillet : Kagurazaka Matsuri à Tokyo
    Au mois de juillet, la rue principale du quartier tendance de Kagurazaka à Tokyo se transforme en scène de danse durant 2 jours, accueillant de nombreuses troupes de danseurs d’Awa Odori.
  • Fin juillet : Anan no Natsu Matsuri à Anan (préfecture de Tokushima)
    Un festival très local qui offre la possibilité d’admirer de la danse Awa Odori le soir en petit comité, quelques semaines avant le grand festival qui a lieu à la mi-août.
  • Début août : Awajishima Matsuri à Awaji (préfecture de Hyogo)
    Sur l’île d’Awaji, les festivités s’étalent sur plusieurs jours, avec des troupes invitées de Tokushima, des bals populaires, et un grand feu d’artifice en clôture.
  • 1er samedi d’août : Otsuki Awa Odori à Otsuki (préfecture de Yamanashi)
    Un festival de taille modeste mais très apprécié dans la région, où les habitants comme les visiteurs sont invités à danser dans les rues du centre-ville sous le son des taiko et des shamisen.
  • 12-15 août : Awa Odori à Tokushima (préfecture de Tokushima)
    Le grand rendez-vous de l’été. Durant 4 soirs, des milliers de danseurs défilent dans les rues bondées de la ville de Tokushima. L’ambiance est électrique, la musique omniprésente, et la ville entière se met au rythme du festival. Impossible de rester spectateur !
  • Mi-août : Shimo-Kitazawa Awa Odori à Tokyo
    Dans les ruelles animées de Shimokitazawa, l’un des quartiers les plus bohèmes de Tokyo, la danse Awa Odori prend une allure plus décontractée, mais tout aussi festive et entraînante.
  • Mi-août : Susono Awa Odori à Susono (préfecture de Shizuoka)
    Surnommé « l’Awa Odori du mont Fuji », ce festival offre une belle ambiance locale avec vue sur Fujisan, mêlant danses traditionnelles et marché estival.
  • 3e samedi d’août : Otsuka Awa Odori à Tokyo
    À deux pas de la gare d’Otsuka, sur la ligne Yamanote, ce festival familial rassemble plus de 1 000 danseurs dans une atmosphère conviviale, au cœur de Tokyo.
  • 3e week-end d’août : Minami Koshigaya Awa Odori à Koshigaya (préfecture de Saitama)
    Lancé en 1985 par un habitant de Tokushima, cet événement est aujourd’hui le troisième plus grand du Japon. Des dizaines de troupes s’y produisent devant un public en nombre et enthousiaste.
  • Dernier week-end d’août : Koenji Awa Odori à Tokyo
    Cet événement phare de l’été à Tokyo rassemble plus de 10 000 danseurs venus émerveiller une foule importante dans le charmant quartier de Koenji.

J’espère que cet article vous aura permis de mieux découvrir l’univers de l’Awa Odori, cette danse festive et entraînante qui anime le Japon tout au long de l’été. Assister à un festival de danse Awa Odori, ou mieux, se laisser emporter par le mouvement, constitue une expérience unique ! Pour encore plus d’idées et de suggestions pour profiter de l’été au Japon, n’hésitez pas à lire mes autres articles sur les spécialités d’été à goûter au Japon et sur Tanabata, la fête des étoiles.

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