
Otaue Matsuri, les rituels de plantation du riz au Japon
Au cœur du printemps japonais, les rizières se remplissent d’eau et reflètent le ciel comme des miroirs. Partout à travers l’archipel, les mois de mai et juin constituent le moment de planter le riz : une tâche agricole essentielle, mais également un moment de rituel et de fête. Depuis le IIe siècle, ce geste de repiquer les jeunes pousses une à une donne lieu à des otaue matsuri, les festivals de plantation du riz. On prie pour une bonne récolte, on plante en rythme, parfois en musique, et dans certains villages, on assiste à des scènes étonnantes : prêtres shinto, jeunes femmes en kimono, danses sacrées, bœufs décorés, et même luttes dans la boue pour divertir les divinités.
Ce sont des rituels que l’on ne soupçonne pas forcément, mais qui racontent pourtant beaucoup du Japon rural, de ses croyances et de son lien à la terre. Aujourd’hui, je vous propose donc de plonger dans ces rituels de plantation du riz, au cœur d’un Japon ancestral qui continue de vibrer chaque année.
L’importance du riz au Japon
Le riz, la base de l'alimentation japonaise.
Un bon bol de riz blanc.
Contrairement à d’autres sociétés construites autour de la chasse ou de l’élevage, le Japon s’est structuré autour de la pêche et de l’agriculture, et plus particulièrement de la culture du riz. Ici, le riz n’est pas qu’un aliment : c’est une clef de lecture de la société. Riche en symboles, il est associé à la pureté, à la fertilité, au travail collectif, et à l’harmonie avec la nature. Dans le shintoïsme, la divinité Inari veille sur les moissons, et des milliers de sanctuaires lui sont dédiés, reconnaissables à leurs fameux renards gardiens. Lors de la cérémonie impériale du Niiname-sai, la fête des récoles qui se tient chaque année le 23 novembre pour Kinro Kansha no Hi, le jour du travail. À cette occasion, l’empereur lui-même offre le riz nouveau aux divinités.
Dans la vie quotidienne, le mot gohan désigne à la fois le riz cuit et le repas au sens large. On ne peut pas faire plus clair. Ce simple bol de riz blanc est la base de tous les repas, et sa préparation demeure un art en soi. Même les festivals japonais, si nombreux dans l’année, ont très souvent un lien avec le riz : au printemps, on prie pour de futures bonnes récoltes, tandis qu’en automne, on remercie les divinités pour les moissons.
La période de plantation du riz
Plantation du riz au printemps.
Épi de riz à la fin de l'été.
La saison du repiquage commence généralement entre mai et juin, selon les régions. Plus on monte vers le Nord, plus elle est tardive. Le calendrier traditionnel n’est jamais très loin : certaines communautés choisissent la date du repiquage selon la lune ou d’anciens almanachs agricoles. La méthode, elle, n’a pas tellement changé : on sème d’abord les grains dans une pépinière, puis on les repique à la main (ou à la machine) quand ils atteignent une quinzaine de centimètres. Les champs, eux, ont été inondés juste avant, formant de véritables miroirs d’eau. Le travail est exigeant, long, et souvent collectif. Avant la mécanisation, on passait la journée courbé dans la boue, plant par plant. Aujourd’hui, les planteuses mécaniques ont largement pris le relais, mais dans certaines zones rurales ou lors de festivals, on continue à le faire à la main, perpétuant un geste millénaire.
La beauté des rizières
Les rizières japonaises sont inondées de magie !
Les rizières d'Oura no Tanada.
Tanbo Art, l'art des rizières.
Loin d’être de simples champs utilitaires, les rizières japonaises sont considérées comme de véritables œuvres paysagères. Leur beauté évolue au fil des saisons : en mai et juin, ce sont des miroirs d’eau striés de jeunes pousses vertes ; en été, un océan d’épis brillants sous le soleil ; en automne, des champs dorés bercés par le vent. Cette esthétique n’est pas un hasard : elle fait partie intégrante de l’imaginaire japonais. Peintres, poètes et photographes ont souvent célébré cette alliance entre nature et culture. Le Ministère de l’Agriculture japonais (MAFF) a même établi un classement officiel des 100 plus belles rizières du Japon, pour valoriser non seulement leur beauté, mais aussi le savoir-faire des agriculteurs qui les façonnent. C’est dans ces paysages que l’on comprend, peut-être plus qu’ailleurs, pourquoi le riz est bien plus qu’un ingrédient : c’est une mémoire vivante, à fleur d’eau.
Preuve de cette volonté d’entretenir l’esthétisme des rizières, de plus en plus de lieux à travers le pays proposent du tanbo art, l’art des rizières. Inventé durant les années 1990 à Inakadate, dans la préfecture d’Aomori, cette technique consiste à utiliser des semis de riz de couleurs différentes afin de créer des champs de riz picturaux, représentant des personnages, scènes ou œuvres populaires qui évoluent également au fil des saisons. Ce tanbo art constitue un levier touristique qui peut attirer des visiteurs et ainsi de créer de l’activité dans la région, permettant de revitaliser des zones rurales. C’est pourquoi on en retrouve de plus en plus au fil des années.
Les festivals de plantation du riz
Otaue Shinji à Osaka.
Izawanomiya Otaue Matsuri à Shima.
Appelés otaue matsuri, les festivals agricoles organisés autour de la plantation du riz marquent un moment fort de l’année dans de nombreux villages japonais. Ce sont des événements hautement symboliques, ancrés dans le shintoïsme. Prêtres, agriculteurs, et même enfants y participent, dans un esprit de fête et de transmission. On chante, on danse, on prie pour la fertilité des terres, et on repique symboliquement les semis en tenues traditionnelles. À certains endroits, on assiste aussi à des spectacles folkloriques, des défilés de samurai ou de geisha, des chants anciens, ou même des combats dans la boue. Tout cela dans le but de divertir les divinités.
Ces rites ont traversé les siècles et continuent de rassembler : ils donnent un sens au travail, renforcent les liens entre générations, et rappellent que la nourriture ne pousse pas toute seule, mais naît d’un pacte entre l’homme et la nature. Ces festivals sont généralement plus sobres et solennels que les grandes fêtes ponctuées d’animations et remplies de stands de nourriture, ils réservent donc une ambiance différente, plus spirituelle. Je vous propose ainsi une sélection de 10 festivals de plantations du riz au Japon :
- 1er dimanche d’avril : Katori-jingu Otaue Matsuri à Katori (préfecture de Chiba)
Alors que les autres du même type ont plutôt lieu en juin, ce festival dédié à la plantation du riz se tient le premier dimanche d’avril dans la ville de Katori, pas loin du charmant quartier historique de Sawara qu’il faut absolument visiter en complément de cette petite fête locale ! - Mi-mai : Oyamazumi-jinja Otaue-sai à Imabari (préfecture d’Ehime)
Ce rituel de la plantation du riz se déroule à une date qui varie chaque année selon le calendrier lunaire, généralement à la mi-mai. De jeunes filles plantent des semis de riz et un spectacle très original attend les visiteurs : du hitori-zumo, un combat de sumo tout seul, contre un adversaire invisible qui est censé être l’esprit de la divinité vénérée. - Début juin : Mibu no Hana Taue à Kitahiroshima (préfecture de Hiroshima)
Ce festival, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO depuis 2011, se tient chaque année le premier dimanche de juin à Kitahiroshima. Des jeunes femmes en tenues traditionnelles plantent le riz au rythme de chants et de musiques folkloriques, accompagnées de bœufs décorés. - 2 juin : Seppetobe à Hioki (préfecture de Kagoshima)
Ce festival est célébré depuis plus de 400 ans. Des hommes couverts de boue participent à des rituels afin de prier pour une bonne récolte. L’ambiance est à la fois solennelle et joyeuse, reflétant l’importance de la riziculture dans la région. - 1er samedi de juin : Tanashi-jinja Otaue Maturi à Nishitokyo (préfecture de Tokyo)
À l’ouest de la préfecture de Tokyo, le joli sanctuaire Tanashi-jinja organise chaque année un petit événement dédié à la plantation du riz. À partir de 14h, on assiste à un rituel effectué en tenue traditionnelle. - 2e dimanche de juin : Korakuen Otaue Matsuri à Okayama (préfecture d’Okayama)
Chaque année, le deuxième dimanche de juin, le jardin Korakuen d’Okayama accueille une reconstitution historique qui marque traditionnellement le début de l’été. Initié en 1962, ce festival met en scène la plantation du riz, animée par une cérémonie avec des chants et des danses traditionnelles à 11h et à 13h. - 14 juin : Otaue Shinji à Osaka
Chaque année, le 14 juin est le jour du rituel de plantation du riz au grand sanctuaire Sumiyoshi-taisha à Osaka. Des danses traditionnelles, de la musique et la plantation de semis de riz sont au programme de cet événement important. - 24 juin : Izawanomiya Otaue Matsuri à Shima (préfecture de Mie)d
Sur la péninsule d’Ise-Shima, le sanctuaire Izawanomiya-jinja est chaque année le théâtre de ce grand festival dédié à la plantation du riz. En plus du rituel de plantation, des performances de danse ainsi qu’une bataille d’hommes dans la boue sont offertes aux divinités et au public. - 25 juin : Nobara Hachiman-gu Otaue-sai à Arao (préfecture de Kumamoto)
Le 25 juin, dans les rizières proches du sanctuaire Nobara Hachiman-gu, des danseurs masqués ouvrent les festivités avant que les femmes du village, en costumes traditionnels, ne plantent les jeunes pousses de riz, accompagnées d’écoliers et de Kumamoto, la célèbre mascotte de la préfecture de Kumamoto. - 12 juillet : Isasumi-jinja Otaue Matsuri à Aizumisato (préfecture de Fukushima)
Chaque 12 juillet, le sanctuaire Isasumi-jinja accueille cet événement considéré comme l’un des 3 plus grands festivals de plantation du riz au Japon. La journée s’ouvre sur la danse du shishioi, avant que les aînés des familles agricoles n’exécutent la saotome odori. L’après-midi voit défiler les mikoshi et la plantation des semis, rythmés par le saibara, un ancien chant de plantation médiéval, considéré comme le plus vieux de la préfecture.
Si la riziculture moderne s’appuie désormais sur des machines et des engrais, les festivals otaue matsuri rappellent que le riz n’a jamais été un simple produit agricole. Il est porteur d’histoires, de croyances et de liens humains. J’espère que cet article vous a permis de découvrir un pan souvent méconnu de la culture japonaise. Et si un jour vous êtes au Japon au mois de juin, ouvrez l’œil : derrière les champs inondés se cache peut-être un petit sanctuaire où l’on s’apprête à danser pour le riz ! Pour encore plus de découvertes n’hésitez pas à lire mes autres articles sur Nagoshi no Harae, la purification de mi-année ou sur Tanabata, la fêtes des étoiles.
Excellent article guigui