Le curry japonais
Bien qu’assez récent dans l’histoire culinaire de l’archipel, le curry japonais est aujourd’hui l’un des grands classiques de la cuisine nippone, un plat incontournable à goûter en voyage aux côtés des sushi, ramen, onigiri, tempura ou wagyu. Réconfortant et généreux, il a su évoluer en se réinventant pour donner naissance à une multitude de déclinaisons selon les régions, les saisons ou l’inspiration des chefs. Je vous propose aujourd’hui de plonger dans l’univers du curry japonais en découvrant son histoire, ses variantes et ses singularités. Et pour conclure ce voyage gourmand, vous trouverez également en fin d’article 15 bonnes adresses où déguster du curry japonais à travers tout le pays.
Le curry japonais, une douceur incontournable


Introduit à la fin du XIXe siècle par la marine impériale japonaise, le curry japonais s’inspire d’un plat de la Royal Navy, lui-même adapté des currys indiens rapportés de la colonisation britannique. À bord des navires anglais, on servait déjà ces ragoûts épicés revisités, pensés pour être complets, digestes et faciles à préparer en mer. La marine japonaise adopte cette idée et l’ajuste au goût local, créant une version plus douce, plus épaisse et moins piquante : le kare raisu. Il devient rapidement le plat officiel du vendredi, permettant de marquer le passage des jours en mer : une tradition encore respectée aujourd’hui dans les forces maritimes japonaises. Après la Seconde Guerre mondiale, d’anciens marins rapportent dans leurs foyers le goût du curry, qui s’impose peu à peu dans toute la société. Puis, dans les années 1950, les marques comme House Foods lancent des roux de curry en blocs, simplifiant sa préparation à la maison et contribuant à sa popularité fulgurante.
Facile à faire, savoureux et nourrissant, le curry japonais se compose d’une sauce onctueuse à base de poudre de curry, de bouillon, de pommes de terre, de carottes, d’oignons et de viande (souvent du porc, mais aussi du bœuf, du poulet, voire de l’agneau ou du gibier). Pour adoucir l’ensemble, on y ajoute du miel, de la pomme râpée, du ketchup, ou un carré de chocolat noir : un équilibre qui apporte de la douceur sans tomber dans le sucré. Contrairement à ses cousins indien ou thaïlandais, souvent très relevés, le curry japonais regorge d’épices, mais il n’est pas pimenté ! Aucune crainte à avoir si vous ne supportez pas le piquant, le curry japonais classique est doux et ne pique pas. Néanmoins, certains établissement proposent du piment en option, avec différents niveaux de piquant selon sa préférence. D’autres restaurants sont quant à eux spécialisés dans un curry hybride revisité (ethnic kare) qui est souvent un peu piquant.


Plat familial par excellence, chaque foyer possède sa propre recette, transmise ou improvisée. Plat préféré des enfants dès le plus jeune âge, il représente l’équivalent japonais du steak-frites à la cantine. C’est aussi la préparation phare des journées camping : il suffit d’une grande casserole, de quelques ingrédients simples, et tout le monde se régale en quantité sur plusieurs repas. Pas étonnant que de nombreux blogs japonais publient des recettes de camp curry, ou que des manga comme Yuru Camp l’aient élevé au rang de plat-star des bivouacs d’été. Le curry fait également partie des spécialités d’été au Japon, car on dit que ses épices douces aident à lutter contre la fatigue liée aux fortes chaleurs estivales et stimulent l’appétit quand celui-ci vient à manquer. Et rien de tel qu’un bon kare bien fumant sous la chaleur humide de la saison des pluies, une scène familière dans bien des souvenirs japonais.
Habituellement, le riz blanc est toujours servi à côté du curry dans l’assiette, jamais mélangé, pour équilibrer la richesse de la sauce. Et on déguste le tout à la cuillère et non avec les baguettes. Que ce soit à la maison, dans une petite échoppe ou dans une cantine scolaire ou d’entreprise, le curry japonais reste un plat aussi simple qu’attachant, celui qui nous plonge dans de réconfortants souvenirs d’enfance et qu’on aime retrouver encore et encore.
Les variantes de curry japonais



Le simple riz au curry n’est que le début du voyage : toasté, fourré, servi sur des nouilles, ou même caché dans un pain croustillant, le curry japonais adore se réinventer… et surprendre les gourmands ! Voici quelques-unes de ses variantes les plus emblématiques :
- Kare raisu : curry épais servi à côté d’un lit de riz blanc. C’est la version la plus répandue, le plat familial par excellence, que l’on retrouve aussi bien dans les restaurants que les écoles ou supermarchés.
- Katsu kare : curry accompagné d’une escalope de porc panée (tonkatsu). Ce mariage entre croustillant et fondant est devenu un grand favori des family restaurants. Le porc peut être remplacé par du poulet (chicken katsu kare), du bœuf (gyukatsu kare), ou du tofu (tofu katsu kare).
- Soup kare : bouillon de curry parfumé au dashi et garni de généreux morceaux de légumes de saison et souvent de poulet ou de fruits de mer. La texture est plus légère et liquide que le curry classique, et le goût peut être plus épicé et pimenté. C’est une grande spécialité de la ville de Sapporo, sur l’île de Hokkaido.
- Kare udon : épaisses nouilles de blé udon servies dans un bouillon au curry. La sauce enrobe les nouilles, offrant une alternative savoureuse au kare raisu pour les amateurs de plats de nouilles.
- Kare pan : pain brioché ou frit, fourré au curry épais. Créé en 1927 à Tokyo, il est devenu une star des boulangeries japonaises et des snacks vendus dans les konbini. Croustillant à l’extérieur, fondant à l’intérieur.
- Yaki kare : riz recouvert de curry et gratiné au four avec du fromage. Crémeux et réconfortant, c’est une sorte de gratin de curry inventé dans les années 1950 dans la région de Kyushu.
- Dry kare : curry à la texture plus sèche, souvent préparé avec du riz sauté ou servi sous forme de keema (hachis épicé). Idéal pour ceux qui préfèrent des saveurs plus concentrées sans sauce. C’est un plat qui s’éloigne du curry japonais classique pour se rapprocher du curry sec indien en moins pimenté.
- Ethnic kare : curry japonais revisité qui intègre des influences internationales. C’est un type de curry très tendance que l’on retrouve de plus en plus dans des cafés branchés ou restaurants dédiés. On trouve par exemple des currys au lait de coco inspirés de la Thaïlande, des versions aux épices indiennes ou même des adaptations coréennes. Contrairement au curry japonais classique doux et sucré, il peut parfois être assez pimenté.
À travers ces déclinaisons, le curry japonais démontre sa capacité d’adaptation et sa richesse : d’un plat du quotidien à des créations audacieuses, il continue de séduire des générations de gourmands. Et pour les curieux, il existe même des variantes moins répandues comme le natto kare (curry au natto) ou le black kare (curry noir au charbon végétal ou à l’encre de seiche), preuve que ce plat ne cesse de se réinventer.
Où manger du curry au Japon ?



On trouve du kare absolument partout au Japon. C’est l’un des plats les plus faciles à déguster, que ce soit dans les cantines, les gares, les supermarchés ou les grandes chaînes comme Go! Go! Curry ou Coco Ichibanya. Chacun a son curry préféré, celui qui évoque des souvenirs de famille, d’études ou de voyages. Car au-delà de ses saveurs, le kare constitue souvent une madeleine de Proust réconfortante que l’on aime retrouver. Mais pour apprécier toutes les nuances de ce plat, rien ne vaut un curry préparé avec soin dans un petit restaurant local spécialisé ! Chaque adresse a sa propre touche, qu’il s’agisse de la recette de la sauce, du type de curry, ou du choix du riz et des garnitures. Pour vous aiguiller vers de bonnes adresses, voici une sélection de 15 excellents restaurants de curry à travers le Japon.
- Dosanko à Noboribetsu Onsen (préfecture de Hokkaido)
Dans ce café populaire du village thermal de Noboribetsu Onsen, on sert un surprenant soup kare garni de légumes fondants et de larges morceaux de poulet tendres dans un bouillon doux-épicé. L’ambiance est agréable, mais il peut y avoir de l’attente car c’est l’une des meilleures adresses du coin. - Kontsh à Aizu Wakamatsu (préfecture de Fukushima)
Installé dans une ancienne boutique de laque vieille de 130 ans et rénovée avec soin, Kontsh est un restaurant végétalien qui met à l’honneur les légumes locaux et les produits de saison. Le curry y est proposé dans des assiettes composées soignées, accompagnées de garnitures maison comme le kurumafu frit, l’arame et la bardane bouillies, ou encore une crème de tofu. Le tout est relevé par un miso Manganji légèrement sucré au piment, qui sublime chaque bouchée. Une magnifique adresse dans la jolie ville d’Aizu Wakamatsu ! - Curry Bondy à Tokyo
Caché au 2e étage d’une librairie, ce petit resto propose un curry de bœuf au roux brun profond, relevé d’un mélange secret de fruits et d’épices. Chaque curry est servi avec son riz, des pommes de terre bouillies, des tsukemono (légumes saumurés) et une tranche de fromage fondue sur le dessus. C’est une adresse très réputée donc il y a très souvent une grande file d’attente, mais le curry est tellement bon ! - Brown Onion Curry Factory à Tokyo
Ce restaurant spécialisé propose un chicken curry épicé d’inspiration sud-indienne. Il marie des morceaux de poulet rôtis au lait de coco et un assortiment d’épices du sud de l’Inde. Le résultat est un curry corsé et onctueux, où on sent l’harmonie entre les épices indiennes et le riz japonais. Une adresse très prisée où il faut faire la queue le week-end. - Machiya Mogura à Tokyo
Ce bar-curry rock’n’roll est tenu par un musicien métal fan de catch. La déco intérieure (guitares électriques et ceintures de champion aux murs) donne le ton. Le curry signature est un lemon keema : un keema d’agneau relevé d’un filet de citron frais qui acidule le plat et apporte une fraîcheur étonnante au curry. - Goto Curry à Tokyo
Dans un décor chaleureux en bois rappelant un salon moderne, Goto Curry propose 4 currys maison au choix : curry de poulet, curry de légumes, vindaloo de porc et keema d’agneau. Une excellente adresse qui reste encore assez peu connue, juste à côté du sanctuaire Omiya Hachiman-gu. - Hinohara Terrace à Hinohara (préfecture de Tokyo)
Niché dans les montagnes verdoyantes de Hinohara Mura, un village à l’ouest de Tokyo, ce café propose un curry maison inspiré des saveurs locales. Préparé avec des légumes de saison et du riz brun germé, ce plat est servi dans un cadre paisible et bucolique avec sa terrasse qui donne sur la verdure. - Konohana à Fujiyoshida (préfecture de Yamanashi)
Installé dans une ancienne maison traditionnelle rénovée, ce café sert une cuisine d’inspiration occidentale aux ingrédients locaux. Le plat phare est l’aoi fujiyama kare, un curry bleu dont l’aspect évoque immédiatement Fujisan. Très prisée le week-end, c’est l’une des meilleures adresses de la ville de Fujiyoshida. - Mori Curry à Nagoya (préfecture d’Aichi)
En plein cœur de la ville de Nagoya, ce restaurant tenu par un « sommelier des légumes » privilégie les currys bien-être : sans gluten, à base de bouillon 100% végétal et de légumes bio de saison. La spécialité est le curry façon hitsumabushi : un curry épicé servi avec des pakora (beignets de légumes indiens). On le déguste d’abord nature, puis on y ajoute des condiments et un bouillon dashi pour changer les saveurs, exactement comme on le ferait pour de l’anguille avec un hitsumabushi. - Banana Cafe à Gifu (préfecture de Gifu)
Un petit café chaleureux dans la ville de Gifu qui propose de l’excellent curry maison, à la fois du soup kare, du dry kare et du milk kare. Mais la star ici n’est pas le curry, c’est surtout la banane, qui peut soit se retrouver directement dans un curry, soit dans des boissons, milkshakes ou desserts gourmands. La carte évolue continuellement et le gérant est très sympathique. C’est un tout petit restaurant donc il peut y avoir de l’attente le week-end. - Murai Shokudo à Kanazawa (préfecture d’Ishikawa)
Ce petit café-curry dans la ville de Kanazawa sert en général deux currys mixtes doux et familiaux : un keema crémeux au lait de coco accompagné d’un quartier de citron à presser pour relever le goût, et un curry tomate/poulet légèrement sucré. Les deux plats sont assez doux, conçus pour être adaptés aux enfants. L’ambiance rappelle un coffee shop intimiste : on y sert aussi du café fraîchement torréfié. - Natural Curry Soryu à Kyoto
Ici, tout est pensé pour mettre la nature à l’honneur : les currys sont cuisinés avec plus de 20 épices et des bouillons végétaux, pour un résultat à la fois savoureux et léger. On peut en choisir jusqu’à 3 par assiette. Les deux incontournables de la maison sont le sooty pork curry, un porc ultra fondant, et le healthy keema curry, un mélange équilibré de bœuf, de porc et de soja. Une belle adresse au bord du canal de Shirakawa. - Curry Yakumido à Osaka
Surnommé « le curry shop le plus deep du Japon », Yakumido mise sur l’audace d’Osaka. Ses deux plats phares sont le dote curry (inspiré du dote yaki d’Osaka), un curry de bœuf fondant mijoté au miso rouge, et le veg curry, un curry végan sans aucun ingrédient animal. L’ambiance est conviviale et chaleureuse, et de nombreux visiteurs étrangers s’y pressent pour goûter ce curry généreux en épices. Les lieux sont étroits donc le restaurant peut vite être plein. - Il riccio à Himeji (préfecture de Hyogo)
Situé à quelques minutes à pied de la gare de Himeji, Il Riccio est un café 100 % végétalien qui propose une cuisine macrobiotique mettant en valeur les produits locaux et de saison. Le menu du déjeuner change chaque mois et comprend souvent un curry végétalien, préparé avec des légumes frais et du riz brun germé. L’établissement offre également une sélection de desserts sans produits d’origine animale, comme le gâteau au chocolat à base de tofu et de farine de riz qui est extraordinairement bon ! - Minde Kitchen à Miyoshi (préfecture de Tokushima)
Installé dans une ancienne maison de ville rénovée, Minde Kitchen est un café-restaurant communautaire qui met à l’honneur les produits locaux. Le curry servi ici a la particularité d’être préparé avec du gibier des montagnes environnantes : du cerf et du sanglier. Une belle adresse rurale sur l’île de Shikoku.
Qu’il réconforte après une averse d’été ou qu’il rassemble autour d’un repas convivial, le curry japonais sait mettre du piquant dans le quotidien sans jamais brûler les palais ! Entre douceur, chaleur et épices bien dosées, il continue de mijoter dans le cœur des gourmands… Pour encore plus de découvertes culinaires, n’hésitez pas à consulter mes articles du même type sur l’unagi, l’anguille japonaise, ou sur l’onigiri, la boulette de riz japonaise.









