Izumo, la ville sacrée de Shimane
Tout à l’ouest de Honshu, dans la préfecture de Shimane, Izumo est une ville qui occupe une place à part dans l’imaginaire japonais. Ici, on ne parle pas juste de temples ou de patrimoine : c’est le lieu de rencontre de toutes les divinités du Japon ! Selon la mythologie, Izumo serait l’endroit où toutes les divinités de tous les sanctuaires du pays (8 millions, soit une infinité) se réunissent chaque année pour organiser le monde et décider de son destin pour l’année à venir. Au-delà de cette spiritualité marquée dans la région, Izumo propose une mosaïque de paysages entre mer et montagnes, ainsi que des petits villages oubliés où le temps semble s’être arrêté. Un Japon calme, enraciné, spirituel et hors du temps que je vous propose de découvrir aujourd’hui.
Le sanctuaire Izumo-taisha



Impossible d’aborder Izumo sans commencer par son lieu de culte emblématique, le sanctuaire Izumo-taisha. C’est le cœur battant de la ville, un lieu à la fois immense et silencieux. Considéré comme l’un des plus anciens et importants sanctuaires shinto du Japon, il est dédié à Okuninushi-no-Kami, la divinité des liens, des rencontres et des connexions invisibles entre les êtres. On vient prier autant pour l’amour que pour les retrouvailles, les amitiés ou les destins croisés. Le sanctuaire se retrouve déjà dans les vieux récits mythologiques du Japon (le Kojiki et le Nihon Shoki). D’après la légende, Okuninushi aurait accepté de céder la terre d’Izumo à Amaterasu (la déesse du Soleil) à condition qu’on lui construise un sanctuaire à la hauteur. Et pas n’importe quel sanctuaire : les textes anciens parlent d’un bâtiment colossal qui aurait culminé à 48 mètres. Aujourd’hui, le pavillon principal, reconstruit en 1744, mesure 24 mètres de haut, ce qui reste déjà impressionnant. Le style architectural du sanctuaire, appelé taisha-zukuri, est d’ailleurs devenu un modèle à part entière dans le monde shinto. On y entre par de grands torii, on traverse des cours ombragées, et on suit les pas des fidèles vers un bâtiment majestueux coiffé d’un toit en chaume, avec ses poutres croisées et ses cordes sacrées (shimenawa) démesurées.
L’atmosphère qui règne ici est particulière, comme un calme suspendu et un silence malgré les foules qui viennent en nombre, notamment durant le mois de novembre. Cette période coïncide avec le 10e jour du 10e mois lunaire, qui est celui où toutes les divinités de tous les sanctuaires du Japon se réunissent à Izumo pour une grande conférence divine ! Durant une semaine, elles s’abreuvent et passent du bon temps tout en décidant de l’avenir du pays pour l’année à suivre. À cette occasion, plusieurs rituels ont lieu entre début et mi-novembre.
Si le sanctuaire Izumo-taisha offre une belle visite spirituelle, la rue commerçante devant le torii à son entrée invite quant à elle à profiter de petites boutiques, de cafés discrets et de marchands de douceurs locales. On y croise des Japonais en yukata, des familles venues prier, ou encore des couples qui mangent des soba, une glace au sésame noir ou un mochi grillé… C’est un coin où l’on prend du plaisir à flâner avec gourmandise en s’arrêtant goûter les spécialités locales !
La plage d’Inasa no Hama


À quelques centaines de mètres du sanctuaire Izumo-Taisha, il suffit de marcher tout droit en direction de la mer pour tomber sur un autre lieu emblématique de la ville : la plage d’Inasa no Hama. Plutôt loin des décors idylliques des plus belles plages du Japon, il s’agit surtout d’un lieu symbolique qui constitue le point d’entrée des divinités à Izumo lorsqu’elles se rassemblent en novembre. C’est d’ailleurs là qu’a lieu la cérémonie d’accueil des dieux le premier soir. Sur la plage se dresse aussi Bentenjima, un petit rocher solitaire surmonté d’un torii dédié à Toyotama-hime, une déesse de la mer. Au coucher du soleil, le spectacle est particulièrement beau.
Izumo Bunka Denshokan



À quelques minutes du centre-ville, niché au calme dans un écrin de verdure, Izumo Bunka Denshokan est un petit musée calme et totalement méconnu qui est une visite à faire absolument à Izumo. On croise d’abord une maison ancienne impressionnante, l’ancienne demeure de la famille Ezumi, de riches propriétaires agricoles du XIXe siècle. À l’avant, un jardin sec de plus de 1400 m2 invite à ralentir. Ici, pas de pierres tonitruantes ou de lignes rigides : on est dans une composition douce, avec de larges tapis de sable blanc et quelques pins noirs bien taillés.
Pour prolonger ce moment suspendu, on peut s’arrêter dans le pavillon de thé niché au cœur du jardin. Un bol de matcha à la main, on profite d’une vue somptueuse sur le jardin. Le musée propose aussi des expositions temporaires et une très belle collection d’objets d’artisanat local : poteries aux formes simples, vanneries du quotidien, laques aux reflets profonds… Pour la petite histoire, c’est cette maison, avec ses boiseries anciennes et son atmosphère paisible, qui a inspiré le décor de la maison familiale de Yoh dans le manga Shaman King. Comme quoi, même les récits d’aujourd’hui continuent de puiser dans les racines profondes d’Izumo.
Le quartier historique de Momen Kaido



Au nord d’Izumo, il y a une rue qui semble avoir été oubliée par le temps : Momen Kaido, littéralement la « route du coton », est un charmant quartier historique à découvrir. Une enfilade de vieilles bâtisses en bois, de maisons de marchands, de brasseries centenaires et de façades en pierre qui racontent encore le souffle commercial de l’époque d’Edo. Car autrefois, ce quartier était une petite capitale du coton. On y tissait du coton japonais que l’on envoyait dans tout le pays, et cette prospérité s’est inscrite dans l’architecture : bâtiments robustes, entrepôts bien conservés, commerces familiaux qui ont traversé les générations. En flânant dans les ruelles, on tombe aussi sur des objets plus inattendus : des œuvres d’isshiki-kazari, une forme d’art populaire typique du coin, où l’on assemble des objets du quotidien (cuillères, lanternes, outils) pour en faire des figurines pleines de charme. Ça n’a l’air de rien, mais c’est le genre de détail qui donne au quartier une vraie personnalité.
On peut profiter de la balade pour goûter la sauce soja d’Oka Moichiro, le sake de la brasserie Mochida, les douceurs de la confiserie Kuramaya Shogato, se détacher de ses mauvais liens au sanctuaire Umi-jinja, ou encore pénétrer dans d’anciennes résidences féodales telles que Hon Ishibashi-tei ou Hirata Honjin. Ces dernières années, plusieurs très bonnes adresses de restaurants se sont installées, et l’hôtel Nipponia offre une très belle solution d’hébergement.
Le village portuaire de Hinomisaki


Niché sur la côte se trouve Hinomisaki, un petit village de pêche un peu à l’écart. Ici, la mer et le ciel se répondent en panoramas spectaculaires. Presque caché dans les pins, le sanctuaire Hinomisaki-jinja se dresse à l’entrée du port. Son rouge vermillon tranche avec le vert environnant : un bâtiment à deux nefs, l’une dédiée à Amaterasu, déesse du Soleil, l’autre à Susanoo, divinité de la mer et des tempêtes. On dit que le sanctuaire Izumo-taisha protège l’aurore, tandis que le sanctuaire Hinomisaki-jinja veille sur le crépuscule.
Non loin du sanctuaire, une silhouette blanche se détache à l’horizon : le phare de Hinomisaki. Haut de 46,3 mètres, c’est tout simplement le plus grand phare en pierre du Japon. Ses 183 marches vous emmènent jusqu’à un observatoire à 83 mètres d’altitude, d’où la vue s’étire jusqu’aux îles Oki quand le ciel est dégagé. Si vous faites le trajet entre le sanctuaire et le phare à pied, en longeant la route côtière, vous verrez que chaque virage ouvre sur un tableau marin, avec des falaises, des pins tordus par le vent, et de vieilles maisons alignées.
Le temple Gakuen-ji



À 20 minutes de route au nord d’Izumo, en s’enfonçant dans les montagnes, on trouve le temple Gakuen-ji, l’un des plus anciens temples bouddhiques de la région. Fondé en 594, son nom signifie littéralement « le temple de l’étang aux crocodiles », une appellation quelque peu étrange qui lui vient d’une vieille légende : un jour, un prêtre aurait fait tomber un objet sacré dans l’eau… et un crocodile le lui aurait gentiment rapporté ! Quand on vous dit que le Japon est un pays sûr, même chez les crocodiles !
Au fil des siècles, le temple Gakuen-ji est devenu un haut lieu de pratique ascétique, où les moines venaient méditer, jeûner, et marcher dans les montagnes. Aujourd’hui, ce n’est plus un centre de formation, mais l’esprit est resté : rustique, sobre, puissamment spirituel. La saison automnale est une période à part, les érables du site embrasant les pentes pour créer des dégradés de toutes les couleurs dignes d’une estampe. Un endroit d’exception et assez méconnu à visiter durant la saison des momiji, autour de mi-novembre.
Le village secret de Sagiura



Sur la côte d’Izumo, loin de l’agitation, le village de Sagiura est un hameau secret, niché entre mer et collines, qui abrite de superbes ruelles mélancoliques qui témoignent de son passé prospère. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, Sagiura était un port stratégique où les bateaux marchands de Kyoto et Osaka jetaient l’ancre pour attendre des vents favorables. Le village vivait alors au rythme des brasseries, des auberges et des échanges, avant de tomber en totale désuétude avec le développement d’autres voies de transport.
Aujourd’hui, Sagiura est un village de pêcheurs isolé, aux vieilles maisons de bois surmontées de tuiles orangées et aux petites barques amarrées. Il n’y a clairement pas grand chose à y faire, même si l’on y trouve malgré tout 2 auberges et le café-galerie Shiwakuya ouvert uniquement le week-end, mais la balade au cœur de ces ruelles et maisons d’un autre temps est une expérience en soi.
Le petit quartier nocturne de Nakamachi


Le jour, Izumo est une ville douce, spirituelle et contemplative. Le soir, il n’y a honnêtement pas grand chose à faire, mais une petite vie nocturne discrète s’éveille du côté de la gare d’Izumoshi, dans le quartier de Nakamachi. Rien à voir avec les grands quartiers animés de Tokyo ou d’autres grandes villes du Japon ! Ici, on est sur quelques rues serrées, un enchevêtrement de petits izakaya, une poignée d’établissements nocturnes, et de rares mais bonnes adresses pour se régaler les papilles, à l’instar du restaurant Sushi Tomita, un tout petit établissement, planqué dans une rue sans prétention, où l’on déguste de bons sushi préparés par un chef très sympathique.
Les autres lieux à voir à Izumo

Je viens de vous présenter quelques lieux emblématiques d’Izumo, mais d’autres coins, peut-être un peu plus en retrait, méritent aussi qu’on s’y attarde. Par exemple, le temple Ichibata Yakushi, perché sur une colline avec vue plongeante sur la mer et les montagnes. On y accède par un escalier de 1300 marches, mais l’effort est vite récompensé par la beauté des lieux ! Le sanctuaire Susa-jinja, quant à lui, est un lieu profond et boisé dédié à Susanoo. On y retrouve une architecture massive, un peu comme au sanctuaire Izumo-taisha, mais dans une ambiance encore plus brute, presque sauvage. Enfin, les gorges de Tachikue, à une 20 minutes de voiture du centre, invite à prendre un sentier qui longe la rivière turquoise, traversant des ponts suspendus et des formations rocheuses, avec au passage plus de 500 petites statues de Bouddha posées dans la pierre.
Les spécialités à goûter à Izumo



Comme toujours, la découverte d’une ville japonaise passe forcément par un voyage des papilles, et Izumo possède justement plusieurs grandes spécialités locales à goûter absolument lors d’un passage :
- Izumo soba
Des nouilles de sarrasin foncées, rustiques et emblématiques de la région. Elles sont servies dans des petits bols empilés (warigo soba). On les arrose de sauce soja parfumée et on les déguste froides, en ajoutant au fur et à mesure de la ciboulette, du nori et parfois du daikon râpé. - Shijimi
Petites coques d’eau douce récoltées dans le lac Shinji. Elles finissent souvent dans une soupe miso très douce, mais peuvent aussi se manger en tsukemono ou sur du riz chaud. - Nodoguro
Ce poisson à gorge noire est une vraie star locale. Sa chair grasse et fondante est délicieuse grillée au sel, ou en sushi dans les bons restaurants de la côte. - Kaisendon
Bol de riz recouvert de tranches de poissons crus et fruits de mer. Il se déguste notamment dans les villages portuaires d’Izumo, comme par exemple à Hinomisaki au restaurant Hanafusa qui propose du poisson frais dans une ambiance à la bonne franquette. - Shimane-gyu
Un bœuf wagyu local, évidemment bien moins connu que d’autres à travers le pays (Kobe, Hida, Matsusaka, Omi…), mais il est tendre et savoureux. - Zenzai
Une soupe chaude aux haricots rouges sucrés, souvent accompagnée de mochi fondant. Parfaite pour les journées un peu fraîches. Le zenzai serait originaire d’Izumo, et le salon de thé Sakaneya Zenzamochi est une belle adresse pour y goûter, juste à côté du sanctuaire Izumo-taisha.
Les festivals et événements à Izumo

Izumo est sans doute l’un des endroits du Japon où les divinités sont les plus occupées. Ici, les festivals ne sont pas juste des animations de quartier : ils prolongent vraiment les mythes tout en rythmant les saisons. Voici quelques rendez-vous à ne pas manquer si vous passez par là au bon moment :
- 2 février : Izumo-taisha Setsubun-sai
À l’occasion de Setsubun, la fête de l’arrivée du printemps, le sanctuaire Izumo-Taisha s’anime durant toute la journée. On lance des haricots pour chasser les mauvais esprits et inviter la bonne fortune. - Début mars : Momen Kaido Ohina Sanpo
Pouf marquer le Hina Matsuri, de jolies poupées sont exposées à travers le quartier historique de Momen Kaido, et plusieurs musées et résidences sont accessibles gratuitement. - Du 29 avril au 5 mai : Izumo Kagura
Durant la Golden Week, Izumo s’anime de belle manière avec chaque jour des représentations de kagura, la danse traditionnelle shintoïste, dans différents endroits de la ville. - 14-16 mai : Izumo Oyashiro Daisai-rei
Le grand festival de printemps de sanctuaire Izumo-Taisha. Processions, vêtements traditionnels, offrandes rituelles. C’est l’un des temps forts du calendrier shinto local. - Mi-juillet : Hirata Matsuri
Un joli événement estival au parc des sports de Hirata qui propose des spectacles, danses, animations et même un feu d’artifice. - 14 août : Kawashita Bon Odori Taikai
Pour célébrer O-Bon, la fête des ancêtres, cet événement local invite à danser en communion autour d’une grande estrade. La danse Bon Odori de la région se transmet depuis plus de 700 ans. Elle se distingue par des mouvements plus lents et fluides. - 8-9 septembre : Iwano Yakushi Taisai
Un événement très local organisé chaque année au début du mois de septembre. Stands de nourriture, tournoi de sumo, spectacles et animations créent une belle fête durant 2 jours. - Mi-novembre : Kami Mukae Sai
Chaque année, les 8 millions de divinités de tous les sanctuaires du Japon se rassemblent au sanctuaire Izumo-taisha pour faire la fête et décider de l’avenir du pays durant une semaine. Ils arrivent par la plage lors de cette cérémonie d’accueil très solennelle le premier soir. L’animation sera surtout présente à partir du lendemain dans les rues de la ville.
Les endroits à voir autour d’Izumo



La ville d’Izumo offre pas mal de découvertes lorsque l’on prend son temps, mais l’idéal est d’avoir encore plus de temps pour rayonner autour, dans la préfecture de Shimane : un coin qui regorge d’autres pépites à dénicher. Voici quelques exemples d’endroits où se rendre depuis Izumo.
- La ville de Matsue, capitale de la préfecture de Shimane, où l’on trouve l’un des 12 derniers châteaux japonais encore debout dans sa structure d’origine, des douves qu’on peut longer en barque, la rue historique Shiomi Nawate, ou le superbe jardin Yuushien. Une ville chargée d’histoire à environ 1 heure de train ou de voiture depuis Izumo.
- Le musée d’art Adachi, un lieu passionnant qui mêle à la fois un musée d’art japonais et l’un des plus beaux jardins du Japon, qui s’apprécie sous forme de tableaux successifs qui se dévoilent progressivement aux visiteurs. Un lieu incontournable de la région à 1 heure de voiture d’Izumo.
- Le quartier historique d’Omori Ginzan, un lieu hors du temps qui longe une rivière paisible et aligne maisons de bois, anciennes résidences de samurai et petites boutiques locales. Omori était le cœur de l’activité de la mine d’argent d’Iwami Ginzan, qui fit la richesse du Japon à l’époque d’Edo. On peut explorer les anciens tunnels, se balader à pied ou à vélo dans les ruelles calmes, et s’imaginer dans un Japon de carte postale, à environ 1 heure de voiture d’Izumo.
- La ville de Tsuwano, qui séduit avec ses canaux bordés de carpes colorées, ses rues anciennes, ses temples et sanctuaires méconnus, ses petits cafés et sa douce atmosphère de cité historique. Un véritable bijou caché de la région, à environ 2 heures de route d’Izumo.
- Les îles Oki, au large des côtes de Shimane, qui constituent un petit paradis naturel secret : falaises spectaculaires, vaches et chevaux en liberté, traditions vivantes, danses kagura, rites shinto millénaires et une sensation d’isolement précieux vous attendent sur cet archipel volcanique. Un dépaysement garanti, accessible en ferry depuis le port de Shichirui ou via un petit aéroport local, à environ 2 à 3 heures de trajet depuis Izumo, selon les conditions.
J’espère que cette escapade à Izumo vous a plu et vous a donné plein de nouvelles idées de manières d’apprécier la ville. Pour d’autres idées d’excursions, vous pouvez lire mes articles sur Shobara, la campagne de Hiroshima, ou encore sur Bizen et Setouchi, les trésors méconnus d’Okayama.









