O-BON, LA FÊTE DES ANCÊTRES AU JAPON
Durant tout l’été au Japon, on vibre au rythme des innombrables festivals et événements qui offrent dans tout le pays de merveilleux moments festifs et chaleureux. Un véritable marathon de matsuri qui promet des rencontres, des spectacles, des feux d’artifice et de la chaleur humaine quasiment chaque jour. Mais le point d’orgue de l’été japonais, c’est sans conteste la période d’O-Bon, la fête des ancêtres, durant laquelle les Japonais honorent l’esprit de leurs aïeux à travers une série de rituels et de festivités qui se tiennent généralement du 13 au 16 août. Je vous propose donc aujourd’hui de découvrir cette fête incontournable qui constitue l’apogée de la saison estivale japonaise.
O-BON, LA FÊTE EN L’HONNEUR DES DÉFUNTS
Tradition bouddhique importée de Chine durant l’Antiquité, puis adaptée en intégrant des croyances ancestrales shintoïstes, O-Bon est une période durant laquelle les Japonais accueillent les esprits de leurs ancêtres pour un séjour temporaire dans le monde des vivants. S’il est traditionnellement célébré du 13 au 16 août, O-Bon peut également avoir lieu en juillet (Shichigatsu Bon) ou en septembre (Kyu Bon) selon les régions. Comme pour d’autres fêtes comme le Hina Matsuri ou encore Tanabata, ce décalage est dû au passage du calendrier lunaire au calendrier grégorien en 1873 qui a mis beaucoup de temps à être adopté dans les régions plus reculées.
L’origine d’O-Bon trouve ses racines dans un récit bouddhique racontant comment Mokuren, l’un des dix disciples de Bouddha, découvrit que sa mère souffrait dans les enfers. En tentant de lui offrir du riz, ce dernier se transforma en flammes. Sur les conseils de Bouddha, Mokuren fit des offrandes aux prêtres le quinzième jour du septième mois. La danse de joie qui suivit la libération de sa mère devint la première danse d’O-Bon, la fameuse danse Bon Odori que l’on retrouve partout aujourd’hui et qui constitue un véritable symbole de l’été japonais. Introduit au Japon au VIe ou VIIe siècle, O-Bon a été réadapté par les Japonais, comme bien d’autres traditions originaires de Chine.
La croyance veut que le mois d’août soit celui durant lequel les esprits des ancêtres reviennent de l’autre monde pour passer du bon temps en famille, auprès des vivants. Le 1er août, la porte de l’au-delà s’entrouvre, et on commence à se préparer pour accueillir les esprits en allant nettoyer les tombes. Sur l’autel domestique butsudan, très courant dans les maisons familiales japonaises, on dispose un concombre et une aubergine, symbolisant respectivement un cheval qui transportera rapidement les esprits jusqu’à notre monde, et une vache qui les raccompagnera lentement vers l’au-delà. À partir du 13 août, on allume des lanternes ou des feux de bienvenue (mukaebi) devant les maisons pour accueillir les âmes. Enfin, on visite les tombes des ancêtres en famille en apportant des offrandes, généralement des douceurs et boissons que les personnes appréciaient de leur vivant.
À travers ces pratiques, les Japonais expriment leur gratitude envers leurs ancêtres et perpétuent un lien profond qui traverse les générations. Cette célébration est aussi l’occasion de renforcer l’unité familiale puisque tout le monde se réunit, vivants comme défunts, et on passe du bon temps tous ensemble en se rendant aux festivals de danse Bon Odori.
LES VACANCES D’O-BON
Bien que ne comportant aucun jour férié (même si juste avant, le 11 août correspond à Yama no Hi, un jour férié dédié à la montagne), O-Bon constitue, avec le Nouvel An et la Golden Week, l’une des 3 grandes périodes de vacances de l’année. Les Japonais sont en effet généralement invités à poser leurs congés payés à ce moment-là pour que les entreprises ferment leurs portes durant quelques jours, permettant à tout le monde de se réunir en famille. Beaucoup se rendent ainsi chez leurs parents, dans leur village natal, et passent plusieurs jours paisibles à l’abri de la chaleur estivale. On se rend au cimetière la journée, tandis que le soir, on prend plaisir à se joindre à la ferveur des festivals d’été qui répandent musique et joie de vivre. Si O-Bon peut se fêter à des périodes différentes en fonction des régions, les vacances d’O-Bon correspondent quant à elles toujours à la mi-août, peu importe la région.
Mais, qui dit vacances pour tout le monde, dit forcément des transports bondés et du trafic sur les routes ! Les shinkansen sont blindés, les aires d’autoroute pleines à craquer : la fête des ancêtres peut vite nous faire vivre un enfer ! Il vaut donc mieux s’organiser de sorte à éviter au maximum les grands déplacements au début et à la fin de la période d’O-Bon. Par exemple en 2024, les vacances d’O-Bon vont du vendredi 9 au soir jusqu’au dimanche 18 août au soir. Elles sont assez longues cette année grâce aux 2 week-ends et au jour férié dédié à la montagne qui s’emboîtent autour du 13 et du 16 août.
LA DANSE BON ODORI
Vénérer ses ancêtres durant O-Bon, c’est bien plus qu’observer de simples rituels protocolaires : on partage avant tout des moments de vie, de joie et de musique avec eux ! Pour chasser les esprits malins et divertir les âmes de nos aïeux, les Japonais organisent tout au long de l’été, et plus particulièrement autour du 15 août, des festivals de danse Bon Odori. Cette danse est caractéristique d’O-Bon et rassemble les communautés autour de scènes éphémères installées dans les rues, les parcs, les temples ou les sanctuaires. Au rythme des taiko et des chants, tout le monde est invité à participer à cette belle effervescence, locaux comme voyageurs, petits comme grands, salarymen en costume sortant du travail comme mamies revêtant de beaux yukata. Les défunts aussi prennent part à la fête, le Bon Odori étant la danse que l’on pratique en compagnie des ancêtres.
Bien que chaque région possède ses propres danses, toutes se caractérisent par leur simplicité, permettant à chacun de participer facilement à ce moment de communion teinté de magie. Raison de plus pour se désinhiber en se lançant dans la ronde : il suffit juste d’imiter les mouvements des gens autour de soi ! Plutôt que de rester en retrait à prendre en photo des gens en train de s’amuser, n’hésitez pas à participer pleinement à la fête ! Ce sont ces moments qui resteront les plus beaux et précieux du voyage.
Dès le plus jeune âge, les Japonais apprennent ces chorégraphies locales qui demeureront les mêmes tout au long de leur vie, à la fois réconfortantes et rassurantes. D’immuables danses qui étaient déjà effectuées autrefois par leurs ancêtres… et qui continueront de l’être par leurs descendants ! La danse Bon Odori constitue un lien entre les générations, un pont entre le monde des vivants et celui des esprits, mais également une manière de tisser des liens entre nous tous.
TORO NAGASHI, LES LANTERNES FLOTTANTES
Le 16 août, le rituel de Toro Nagashi marque la fin de la période d’O-Bon. Les Japonais confient alors les esprits de leurs ancêtres aux eaux en déposant de délicates lanternes en papier sur les rivières. Ces flottilles lumineuses, chargées de messages et de prières, offrent un spectacle à la fois poétique et solennel, symbolisant le passage vers l’au-delà. Ouvert à tous, chacun peut participer en acquérant une lanterne sur laquelle il inscrit un vœu ou une pensée. Ce cérémoniel a également lieu à d’autres occasions pour honorer les âmes des victimes de tragédies, comme c’est le cas au début du mois d’août à Hiroshima et Nagasaki en mémoire des victimes des bombardements atomiques.
LES SPÉCIALITÉS À DÉGUSTER POUR O-BON
Comme toujours, chaque fête japonaise est l’occasion de déguster des mets spécifiques, souvent choisis pour une symbolique, un jeu de mots savoureux, une saisonnalité, ou bien des raisons pratiques, permettant notamment ici d’affronter les fortes chaleurs estivales. Voici donc une sélection de spécialités populaires durant la période d’O-Bon :
- Shojin ryori : cuisine végétarienne bouddhique, souvent consommée pendant les retraites spirituelles. O-Bon étant lié au bouddhisme, elle est particulièrement appréciée à ce moment-là et certaines familles en préparent à la maison ou bien se rendent dans des restaurants spécialisés comme à Koyasan.
- Somen : fines nouilles de blé très légères et rafraîchissantes. Elles sont idéales pour les chaudes journées d’été et les nagashi somen sont une manière amusante de les manger en famille : on les fait s’écouler le long de demi-cannes de bambou et on tente de les attraper avec ses baguettes.
- Sekihan : riz gluant rouge aux haricots azuki. Il est traditionnellement servi lors de certaines occasions festives, comme par exemple okuizome, le premier repas d’un bébé pour fêter les 100 jours de sa naissance. Sa couleur rouge symbolise la bonne fortune et protection, et on le consomme parfois pour O-Bon en l’honneur des ancêtres.
- Tempura : plat de friture légère et croustillante. On en consomme tout au long de l’année, mais c’est une spécialité pour O-Bon dans certains coins du pays comme la préfecture de Nagano et la région du Tohoku, représentant la richesse de la nature et la gratitude envers les éléments. C’est un plat convivial qui se déguste souvent au restaurant, mais que l’on peut également préparer en famille pour un beau moment de partage.
- Dango : boulette de riz gluant réalisée à partir de mochiko, de la farine de riz. C’est une spécialité souvent offerte en offrande aux divinités lors des festivals, et elle est ainsi également proposée aux esprits des ancêtres pour O-Bon.
- Ohagi : boulette de riz gluant enrobée de pâte de haricots rouges, un peu comme un mochi inversé. Cette douceur est liée à l’au-delà car elle est la grande spécialité à déguster lors des équinoxes (en septembre et en mars) qui sont également des moments où l’on honore les ancêtres. L’ohagi a donc naturellement sa place pour O-Bon.
- Kakigori : glace râpée japonaise. Très rafraîchissant, le kakigori n’est pas spécialement lié à O-Bon, mais c’est le dessert par excellence de l’été japonais, parfait pour se désaltérer durant les fortes chaleurs. Véritable incontournable des stands de nourriture de rue, il est très prisé durant les festivals.
LES FESTIVALS POUR O-BON
Comme toujours, chaque fête japonaise apporte son lot de festivals, et pour O-Bon, on est plus que servi, puisque cette période correspond à la très haute saison des festivals : c’est littéralement l’apogée de l’été japonais ! Mi-août, ce sont des centaines de matsuri se tiennent chaque jour à travers le pays, aussi bien dans les grandes villes que dans les petits villages, les îles ou encore les quartiers résidentiels. Il est très facile d’assister à un festival durant cette période, je dirais même que c’est indispensable car c’est le plus gros point fort d’un voyage au Japon durant O-Bon, faisant oublier les quelques inconvénients que sont la chaleur et les foules dans les transports.
Voici donc une sélection de 15 grands festivals qui se tiennent pour O-Bon à travers tout le Japon :
- 13-16 juillet : Mitama Matsuri (Tokyo)
Il n’a pas lieu mi-août, mais il s’agit bien d’un festival pour O-Bon : Tokyo fête en effet cette période en juillet, bien qu’on y retrouve également des festivals O-Bon en août. Plus de 30 000 lanternes plongent les nombreux visiteurs dans une atmosphère unique, constituant l’un des plus importants festivals d’été de la capitale. Durant 4 jours, on honore l’âme des défunts en dansant et en jouant de la musique autour du sanctuaire Yasukuni-jinja. - 9-12 août : Yosakoi Matsuri (préfecture de Kochi)
Originaire de Kochi, la danse Yosakoi est très populaire à travers le Japon, qui compte de nombreux clubs. Cette danse énergique, apparue en 1954, s’inspire de la danse traditionnelle Awa Odori et constitue une variante colorée et dynamique de la danse Bon Odori. Chaque danseur utilise un petit clapet en bois (naruko) dont le son rythme la performance. Plus de 20 000 danseurs prennent part à cette immense fête. - 12-15 août : Awa Odori (préfecture de Tokushima)
Durant 4 jours, la ville de Tokushima est le théâtre de l’événement de danse le plus célèbre du pays. Des milliers de participants se relaient jusqu’au soir pour offrir un spectacle extraordinaire, rassemblant plus d’un million de visiteurs. Les danseurs portent un chapeau d’été traditionnel (amigasa) et effectuent des chorégraphies d’Awa Odori, une danse dérivée du Bon Odori qui a plus de 400 ans d’histoire. La fête est folle car, comme le dit un adage : « Il y a les fous qui dansent et les fous qui regardent. Tant qu’à être fou, pourquoi ne pas danser ? ». - 13-15 août : Tottori Shan Shan Matsuri (préfecture de Tottori)
Ce grand festival colore chaque année la ville de Tottori avec sa danse particulière, dérivée du Bon Odori, qui s’effectue avec un parapluie traditionnel. Plus de 4 000 danseurs participent au spectacle et, le dernier soir, un feu d’artifice clôt le tout de manière magistrale. - 13-16 août : Gujo Tetsuya Odori (préfecture de Gifu)
Dans le village de Gujo Hachiman, situé au cœur de la préfecture de Gifu, les nuits estivales prennent des airs de conte féerique et merveilleux. Tout l’été, des danses ont lieu en soirée mais, durant la période d’O-Bon, elles se déroulent tout au long de la nuit, de 20 heures à 5 heures du matin. Tout le village danse sans jamais s’arrêter, et chacun est invité à participer à cette communion fantastique. L’idéal est de revêtir un yukata et des geta (chaussures traditionnelles) afin de se fondre pleinement dans l’ambiance onirique de ce festival bouleversant. - 14-16 août : Bitchu Takahashi Matsuyama Odori (préfecture d’Okayama)
Une superbe fête qui invite tout le monde à danser en compagnie des danseurs locaux, vêtus de yukata et d’un chapeau d’été traditionnel, pour vivre un beau moment de partage. - Mi-août : Hokkaido Bon Odori (préfecture de Hokkaido)
Faisant partie du Sapporo Matsuri qui s’étend sur tout l’été, cet événement de danse Bon Odori se déroule durant 6 jours, chaque soir de 18 heures à 20 heures au parc Odori Koen, en plein centre de Sapporo. - Mi-août : Kanda-myojin Noryo Matsuri (Tokyo)
Durant 4 jours, le très beau sanctuaire Kanda-myojin, près d’Akihabara, invite les visiteurs à participer à la danse Bon Odori, la particularité de celui-là étant que, le vendredi soir, la danse se fait sur des musiques d’anime. - 15 août : Shoro Nagasaki (préfecture de Nagasaki)
Le soir du 15 août, les esprits des ancêtres, revenus sur Terre pour O-Bon, sont renvoyés vers l’au-delà par les habitants de Nagasaki. Des bateaux décorés transportent les esprits jusqu’au port avant d’être brûlés. Des feux d’artifice tenus à la main dans les rues rendent la fête unique et magique. - 15-16 août : Umi no Bon (préfecture de Miyagi)
Lancé après les catastrophes de 2011, cet événement permet à tous de vivre un doux moment de communion en dansant dans la charmante ville de Matsushima, éclairée par 1 200 lanternes flottant dans sa baie. - 15-16 août : Yamaga Toro Matsuri (préfecture de Kumamoto)
Un festival onirique, qui illumine les coeurs grâce à ses sublimes lanternes traditionnelles que des centaines de danseuses vêtues de yukata portent sur la tête, offrant une danse atypique d’une élégance rare. - 16 août : Gozan Okuribi (Kyoto)
La nuit du 16 août, pour clôturer la période d’O-Bon, les montagnes de Kyoto s’enflamment littéralement, dessinant des kanji et un torii, pour guider les esprits vers l’autre monde. En complément, le rituel de Toro Nagashi met également des étoiles dans les yeux des visiteurs avec ses lanternes flottantes qui illuminent la rivière. - 16-18 août : Nishimonai Bon Odori (préfecture d’Akita)
Depuis 700 ans, ce festival de danse Bon Odori se démarque des autres par son ambiance profondément mélancolique. Les danseurs et danseuses cachent complètement leur visage et effectuent de sobres chorégraphies, accompagnés par les esprits de leurs ancêtres. - Week-end après le 15 août : Okinawa Zento Eisa Matsuri (préfecture d’Okinawa)
Durant 3 jours, des événements de danse traditionnelle d’Okinawa Eisa Odori sont proposés au public à trois endroits différents. Datant de l’époque où Okinawa constituait le royaume indépendant et pacifiste de Ryukyu (avant 1879), cette danse était effectuée pour le dernier jour d’O-Bon dans le but de renvoyer les esprits des ancêtres dans l’au-delà. - 1-3 septembre : Owara Kaze no Bon (préfecture de Toyama)
Une danse élégante et mystérieuse effectuée par les habitants du village dans le but d’honorer les divinités des vents et des récoltes afin que les typhons, qui ont lieu durant cette période, n’endommagent pas les rizières. Des jeunes femmes et hommes, tous célibataires, dansent sur un rythme très lent, en se cachant le visage. Un spectacle élégant et majestueux qui dure toute la nuit le 3 septembre !
O-Bon, c’est l’invitation à une fête ancestrale qui favorise une communion intergénérationnelle. Pendant quelques jours, les barrières entre le monde des vivants et celui des esprits s’effacent. Les familles se réunissent, les tambours taiko battent la mesure d’une danse ancestrale, invitant chacun à se joindre à la ronde. Des milliers de lanternes flottantes illuminent les rivières comme des étoiles filantes, guidant les âmes des défunts. Ensemble, nous partageons des repas, des rires, des souvenirs et quelques pas de danse. O-Bon, c’est célébrer la vie, sous toutes ses formes, et danser avec ceux que nous aimons, ici-bas et au-delà. J’espère que cet article vous a plu et vous aura donné l’envie de ressentir la chaleur intense de cet apogée l’été japonais ! Pensez à lire mes autres articles sur les festivals d’été à voir dans le Tohoku et hanabi, les feux d’artifice japonais !